sábado, 30 de marzo de 2024

GUSTAVE FLAUBERT (1821-1880): PENSAMIENTOS SOBRE EL ARTE (PARTE 2)

Texto traducido

 1.- La primera cualidad del arte y su objetivo es la ilusión; la emoción, que a menudo se obtiene mediante ciertos sacrificios de detalles poéticos, es una cosa completamente diferente y de orden inferior. Lloré con melodramas que no valían ni cuatro centavos y Goethe nunca me humedeció los ojos, excepto con admiración.

 

2.- Pintarás el vino, el amor, las mujeres, la gloria, a condición, buen hombre, de no ser un borracho, ni un amante, ni un marido, ni un alocado. Insertos en la vida, la vemos mal, la sufrimos o la disfrutamos demasiado. El artista, en mi opinión, es una monstruosidad, algo fuera de la naturaleza, todas las desgracias con las que le abruma la Providencia provienen de su terquedad al negar este axioma: sufre por ello y hace sufrir por ello a los demás. Preguntemos sobre esto a las mujeres que han amado a los poetas y a los hombres que han amado a las actrices.

 

3.- Estamos todos hundidos al mismo nivel, en una mediocridad común. La igualdad social ha sido traspasada al 
espíritu, hacemos libros para todos, arte para todos, ciencia para todos, del mismo modo que construimos 
ferrocarriles y calderas de calefacción pública. La humanidad está enojada por la degradación moral y la culpo 
por ser yo parte de ella.


Texto original:

1.- La première qualité de l’art et son but est l’illusion ; l’émotion, laquelle s’obtient souvent par certains sacrifices de détails poétiques, est une tout autre chose et d’un ordre inférieur. J’ai pleuré à des mélodrames qui ne valaient pas quatre sous et Gœthe ne m’a jamais mouillé l’œil, si ce n’est d’admiration.


2.- Tu peindras le vin, l’amour, les femmes, la gloire, à condition, mon bonhomme, que tu ne seras ni ivrogne, ni amant, ni mari, ni tourlourou. Mêlé à la vie, on la voit mal, on en souffre ou on en jouit trop. L’artiste, selon moi, est une monstruosité, quelque chose hors nature, tous les malheurs dont la Providence l’accable lui viennent de l’entêtement qu’il a à nier cet axiome — il en souffre et en fait souffrir. Qu’on interroge là-dessus les femmes qui ont aimé des poètes et les hommes qui ont aimé des actrices.


3.- Nous sommes tous enfoncés au même niveau, dans une médiocrité commune. L’égalité sociale a passé dans l’esprit, on fait des livres pour tout le monde, de l’art pour tout le monde, de la science pour tout le monde, comme on construit des chemins de fer et des chauffoirs publics. L’humanité a la rage de l’abaissement moral, et je lui en veux de ce que je fais partie d’elle.


Ce qui me semble à moi le plus haut dans l’art (et le plus difficile) ce n’est ni de faire rire, ni de faire pleurer, ni de vous mettre en rut ou en fureur, mais d’agir à la façon de la nature, c’est-à-dire de faire rêver. Aussi les très belles œuvres ont ce caractère, elles sont sereines d’aspect et incompréhensibles quant au procédé, elles sont immobiles comme des falaises, houleuses comme l’océan, pleines de frondaisons, de verdures et de murmures comme les bois, tristes comme le désert, bleues comme le ciel — Homère, Rabelais, Michel-Ange, Shakespeare, Gœthe m’apparaissent impitoyables, cela est sans fond, infini, multiple. Par de petites ouvertures on aperçoit des précipices, il y a du noir en bas, du vertige, et cependant quelque chose de singulièrement doux plane sur l’ensemble ! C’est l’idéal de la lumière, le sourire du soleil, et c’est calme ! C’est calme ! et c’est fort.


L’œuvre de la critique moderne est de remettre l’art sur son piédestal. On ne vulgarise pas le beau, on le dégrade, voilà tout. Qu’a-t-on fait de l’antiquité en voulant la rendre accessible aux enfants ? Quelque chose de profondément stupide ! Mais il est si commode pour tous de se servir d’expurgata, de traductions, d’atténuations, il est si doux pour les nains de contempler les géants raccourcis ! ce qu’il y a de meilleur dans l’art échappera toujours aux natures médiocres, c’est-à-dire aux trois quarts et demi du genre humain. Pourquoi dénaturer la vérité au profit de la bassesse ? 

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